Dans le domaine de la connaissance spirituelle, qu’on appelle aussi connaissance du cœur, il existe des affinités évidentes entre le silence, le secret et le désir. En effet, pour user de métaphores, voici comment on approche de la maison du coeur : le désir ouvre la porte ; le silence permet d’y demeurer ; le secret protège l’habitation intérieure. Méconnues ou méprisées par une société de pouvoir et d’apparence, ces trois dimensions représentent – et ce n’est pas leur moindre valeur -les clés de la liberté pour tout être humain. Se tenir dans la lumière impalpable du secret, dans la profondeur paisible du silence, et dans le feu vivant du désir désiré, c’est, déjà, savourer l’infini. Jacqueline Kelen
Maintenant je sais que l’homme est capable de grandes actions mais s’il n’est pas capable d’un grand sentiment, il ne m’intéresse pas. On a l’impression qu’il est capable de tout. Mais non, il est incapable d’être heureux longtemps, il n’est donc capable de rien.Ce qui m’intéresse c’est qu’on vive et qu’on meure de ce qu’on aime. Albert Camus
Notre existence actuelle est de nature active. On vit sa vie comme un long assaut. La vie entière de la société, les manières de travailler, de prier, de se divertir, tout est imprégné d’agressivité ; reconnue, cultivée, acceptée, planifiée. Ne parlons même pas de la production ou de la diplomatie, puisque la prière déjà m’apparait comme une agression envers Dieu. Toute notre éducation nous a appris à ne viser finalement qu’un but : l’autosatisfaction. C’est ce vers quoi tendent tous nos mouvements, même ceux qu’on accomplit en rêve ou le dimanche. Toute interruption de ces mouvements ne passe que pour un ajournement de l’autosatisfaction future. Tout ce qui arrive, tout ce vaste fleuve, ce cours impétueux des événements – y compris les plus doux et les plus agréables -, ne saurait être conçu autrement que comme un affrontement d’agressivités cultivées. Personne n’est plus prêt à attendre simplement, à attendre n’importe quoi; aussi ne peut-on plus rien attendre; personne ne veut plus pratiquer l’observation. Celle-ci n’est ni enseignée, ni cultivée, tout le monde a inconsciemment renoncé à elle. […] Nous avons, certes, des laboratoires et des instituts d’observation spécialisés. Mais ici, l’observation ne joue qu’un rôle productif : c’est un investissement utilitaire. Rien à voir avec l’observation à laquelle je pense. La véritable observation, disais-je en somme, est un état d’esprit. Je dis maintenant plus exactement que c’est un mode d’existence. Mode sédentaire, disons passif, paisible et silencieux. Une attente? Non, car attendre quoi ? Le temps ne passe pas pour l’observateur; ce n’est pas un paysan qui attend que le blé monte en herbe. Au contraire du chat qui surveille le comportement des souris, le véritable observateur est tout à fait désintéressé quant au résultat de son observation. Telle que je la conçois, elle est un état physique qui ne trouble en rien le recueillement de l’esprit lequel existe bel et bien. L’esprit reste attentif mais nullement tendu par l’attente. S’abstenant de tout jugement, il est également éloigné du plaisir et du dégoût. L’observation est liée à l’oubli de soi-même. Ludvik Vaculik, Les Cobayes
Ils m’ont toujours jugé comme bizarre ou différente , mais tu sais quoi ? J’ai toujours adoré. Je ne supporterais pas d’être comme le reste du monde. Alda Merini
Malgré la connaissance du monde qui vient d’une large expérience, malgré l’acquisition d’une philosophie de tous les jours qui soit viable, malgré soi, on se rend compte que les imbéciles sont encore plus idiots qu’avant, et les emmerdeurs, plus emmerdants. (…) S’il est une chose qui me paraît de plus en plus évidente aujourd’hui, c’est que le caractère foncier des êtres ne change pas avec les années. À de rares exceptions près, les gens ne se développent ni n’évoluent : le chêne demeure chêne, le porc, porc, et le minus, minus. La vie nous donne de force quelques leçons; elle ne nous apprend pas nécessairement à grandir. Quant au monde en général, non seulement il ne m’a pas l’air meilleur qu’à l’époque de ma huitième année – il a l’air mille fois pire!. Le grand écrivain J. K.Huysmans, l’auteur de « À Rebours », résume assez bien cela lorsqu’il dit que le passé lui fait horreur, que le présent est gris et désolé, et l’avenir, absolument épouvantable. Fort heureusement, je ne partage pas ce point de vue sinistre. Ne serait-ce que cela, je ne m’intéresse pas à l’avenir. Quant au passé, bon ou mauvais, j’en ai tiré le miel. L’avenir qui me reste, c’est mon passé qui l’a fait. L’avenir du monde, je le laisse aux méditations des philosophes et des visionnaires. La seule chose à laquelle nous ayons vraiment droit, c’est le présent; mais rares sont ceux d’entre nous qui le vivent jamais. Je ne suis pas plus un pessimiste qu’un optimiste. Pour moi, le monde n’est ni ci ni ça; il est tout à la fois, et ce, selon la vision de chacun. (…)Si resserré que puisse devenir pour moi le monde, je ne peux l’imaginer me laissant vide d’émerveillement. Peut-être pourrait-on dire en un sens que c’est là ma religion. Je me moque de savoir ce qui lui a pris d’exister, à cette création où nous baignons; je ne me soucie que d’en jouir et de la goûter. J’ai beau railler tant et plus les conditions de vie qui sont les nôtres, j’ai cessé de me croire capable d’y remédier. Il se peut que je parvienne à changer quelque peu ma propre position -sûrement pas celle des autres. Pas plus que je ne vois personne, même parmi les plus grands d’hier et d’aujourd’hui , qui ait jamais pu, ou puisse jamais, changer vraiment « la condition humaine ». Henry MILLER, Virage à 80 ans, 1973.
“Tu fais de ma vie quelques chose d’irisé. Tu es entrée dans ma vie comme on arrive dans un royaume ou toutes les rivières attendaient ton reflet et toutes les routes tes pas.(…) Tu es la seule personne avec qui je peux parler de la nuance des nuages.” VLADIMIR NABOKOV, ” Lettres à Véra”
L’artiste – qu’il soit sculpteur, peintre, acteur, poète ou musicien – est d’une telle importance pour l’existence des hommes, et si indispensable à l’être humain, qu’aucun peuple, aucun groupe humain ne peut vivre sans art et sans artiste. On n’a, jusqu’à aujourd’hui, jamais trouvé nulle part de peuple qui soit sans art. Même le peuple le plus primitif voit naître un art et des artistes. Il y a des peuples sans religion; mais il n’existe pas de peuple sans art. C’est pour l’homme un besoin vital d’enrichir et d’enjoliver la vie, parce que c’est là le seul moyen d’échapper au prosaïsme du quotidien. La quotidienneté, en effet, étouffe l’homme, engourdit ses sensations, ses espoirs, ses idéaux, ses pensées, au point que toute vie perd sa valeur et que la phrase la plus désespérante exclame strictement : « Pourquoi vivre ? ». Ce n’est pas la religion, mais bien l’artiste qui pose à l’homme cette question et lui répond par une si forte volonté de vivre et une capacité de création dont la puissance vient de tellement loin que cette question elle-même périt sur les lèvres de l’homme. (…) L’artiste n’a pas à être mon dieu, ni une autorité, ni une figure supraterrestre qui me serait inaccessible et existerait cachée derrière les nuages hors de mon monde. L’artiste doit, dans son œuvre, me révéler qu’il est mon frère terrestre, qu’il est sujet à autant d’adversité que moi, plein de désirs comme moi, qu’il est porté par l’élan de se libérer des chaînes mentales comme moi et bourré de pulsions et de lacunes comme moi. L’unique chose que je doive ressentir à son endroit, c’est de lui être reconnaissant de savoir exprimer avec pertinence, par la musique, la couleur, la pierre, la parole, la représentation, ce qui touche mon âme et ce que j’essaie d’exprimer depuis le premier éveil de ma conscience de n’importe quelle manière, sans y parvenir. Il n’y a que l’artiste pour nous rendre hommes et nous faire consciemment sentir que nous sommes hommes. B. TRAVEN, “Tous les hommes dont les larmes débordent”.
Que tu sois environné par le chant d’une lampe ou par la voix de la tempête, par le souffle du soir ou le gémissement de la mer, toujours veille derrière toi une vaste mélodie, tissée de mille voix, ou de temps à autre seulement ton solo trouve sa place. Savoir quand tu dois intervenir dans le choeur, c’est le secret de ta solitude : de même que c’est l’art de la relation véritable : se laisser tomber de la hauteur des mots dans l’unique et commune mélodie. Rainer Maria RILKE
Dans la vie de tous les jours on reconnait un être bon à ce qu’il aime l’incognito, à son goût de la discrétion, voire de l’effacement..Il ne déballe jamais son curriculum vitae, ses diplômes ni ses prouesses..Il a à peine de biographie et se désintéresse de l’évènementiel..Mais il veille sur la neige, le vent, les taupinières, le duvet des peupliers, les étoiles, les enfants, le silence, bref, sur tout ce qui est vivant.. Jacqueline KELEN
“Un desiderio vago, come un’aura dell’anima, aveva schiuso pian piano per lei, come per me, una finestra nell’avvenire, donde un raggio dal tepore inebriante veniva a noi, che non sapevamo intanto appressarci a quella finestra né per richiuderla né per vedere che cosa ci fosse di là.“
Luigi Pirandello, libro Il fu Mattia Pascal
Quand je demande à ceux que je rencontre de me parler d’eux- mêmes, je suis souvent attristée par la pauvreté de ma moisson. On me répond : je suis médecin, je suis comptable…etc. J’ajoute doucement : vous me comprenez mal. Je ne veux pas savoir quel rôle vous est confié cette saison au théâtre mais qui vous êtes, ce qui vous habite, vous réjouit, vous saisit ? Beaucoup persistent à ne pas me comprendre, habitués qu’ils sont à ne pas attribuer d’importance à la vie qui bouge doucement en eux. On me dit : je suis médecin ou comptable mais rarement : ce matin, quand j’allais pour écarter le rideau, je n’ai plus reconnu ma main…ou encore : je suis redescendu tout à l’heure reprendre dans la poubelle les vieilles pantoufles que j’y avais jetées la veille; je crois que je les aime encore…ou je ne sais quoi de saugrenu, d’insensé, de vrai, de chaud comme un pain chaud que les enfants rapportent en courant du boulanger. Qui sait encore que la vie est une petite musique presque imperceptible qui va casser, se lasser, cesser si on ne se penche pas vers elle ? Les choses que nos contemporains semblent juger importantes déterminent l’exact périmètre de l’insignifiance : les actualités, les prix, les cours de la Bourse, les modes, le bruit de la fureur, les vanités individuelles….Je ne veux savoir des êtres que je rencontre ni l’âge, ni le métier, ni la situation familiale; j’ose prétendre que tout cela m’est clair à la seule manière dont ils ont ôté leur manteau. Ce que je veux savoir, c’est de quelle façon ils ont survécu au désespoir d’être séparé de l’Un par leur naissance, de quelle façon ils comblent le vide entre les grands rendez- vous de l’enfance, de la vieillesse et de la mort, et comment ils supportent de n’être pas tout sur cette terre. Je ne veux pas les entendre parler de cette part convenue de la réalité, toujours la même, le petit monde interlope et mafieux : ce qu’une époque fait miroiter du ciel dans la flaque graisseuse de ses conventions ! Je veux savoir ce qu’ils perçoivent de l’immensité qui bruit autour d’eux. Et j’ai souvent peur du refus féroce qui règne aujourd’hui, à sortir du périmètre assigné, à honorer l’immensité du monde créé. Mais ce dont j’ai plus peur encore, c’est de ne pas assez aimer, de ne pas assez contaminer de ma passion de vivre ceux que je rencontre… Christiane SINGER
“Je n’ai pas réussi à redresser le monde, à vaincre la bêtise et la méchanceté, à rendre la dignité et la justice aux hommes, mais j’ai tout de même gagné le tournoi de ping-pong à Nice, en 1932, et je fais encore, chaque matin, mes douze tractions, couché, alors, il n’y a pas lieu de se décourager.” Roman Gary
J’ai vu des miracles se produire, quand les gens disent la vérité. Pas la “belle” vérité. Pas la vérité qui cherche à plaire ou à réconforter. Mais la vérité sauvage. La vérité féroce. La vérité qui dérange. La vérité tantrique. La foutue vérité. La vérité que tu as peur de dire. L’horrible vérité sur toi que tu caches pour “protéger” les autres. Pour éviter d’être «trop». Pour éviter d’avoir honte et de te sentir rejeté. Pour éviter d’être vu. La vérité de tes sentiments les plus profonds. La rage que tu as ressassée, dissimulée, maîtrisée. Les terreurs dont tu ne veux pas parler. Les pulsions sexuelles que tu as essayé d’engourdir. Les désirs primaires que tu ne peux supporter de formuler. Les défenses se décomposent enfin, et ce matériel «dangereux» émerge du plus profond de l’inconscient. Tu ne peux plus le retenir. L’image du «bon garçon» ou de la «gentille fille» s’évapore. Celle du «parfait», de «celui qui a tout compris», de l’évolué : ce sont des images qui brûlent. Tu trembles, tu transpires, tu es au bord des vomissements. Tu penses que tu pourrais en mourir, mais finalement tu la dis cette putain de vérité, cette vérité dont tu as profondément honte. Pas une vérité abstraite. Pas une vérité “spirituelle”, soigneusement formulée et conçue pour prévenir l’offense. Pas une vérité habilement emballée. Mais une vérité humaine désordonnée, enflammée, bâclée. Une vérité sanglante, passionnée, provocatrice, sensuelle. Une vérité mortelle, indomptée et sans fard. Et fragile, collante, suante, vulnérable. La vérité de ce que tu ressens. La vérité qui permet à l’autre de te voir à l’état brut. La vérité qui fait haleter, qui fait battre ton cœur. C’est la vérité qui te libérera. J’ai vu des dépressions chroniques et des angoisses permanentes s’effacer du jour au lendemain. J’ai vu s’évaporer des traumatismes profondément enracinés. J’ai vu de la fibromyalgie, des migraines à vie, de la fatigue chronique, des maux de dos insupportables, des tensions corporelles, des troubles de l’estomac, disparaître, ne jamais revenir. Bien sûr, les «effets secondaires» de la vérité ne sont pas toujours aussi dramatiques. Et nous n’entrons pas dans notre vérité avec un résultat en tête. Mais pense aux énormes quantités d’énergie nécessaires pour réprimer notre sauvagerie animale, engourdir notre nature farouche, réprimer notre rage, nos larmes et notre terreur, soutenir une fausse image, et faire semblant d’être «bien». Pense à toute la tension dans le corps, et aux dommages causés à notre système immunitaire, quand nous vivons dans la peur de “ nous montrer”. Prends le risque de dire ta vérité. La vérité dont tu as peur. La vérité dont tu crois que le monde dépend. Trouve une personne sûre, un ami, un thérapeute, un conseiller, toi-même, et laisse-les entrer. Laisse-les te tenir alors que tu te brises. Laisse-les t’aimer alors que tu pleures, rages, trembles de peur, que tu es en plein gâchis. Dis ta putain de vérité à quelqu’un, cela pourrait simplement te sauver la vie, te guérir du plus profond de toi et te connecter à l’humanité d’une manière que tu n’avais jamais imaginée. Jeff Foster
« Quelque chose en nous a été détruit par le spectacle des années que nous venons de passer.
Et ce quelque chose est cette éternelle confiance de l’homme, qui lui a toujours fait croire qu’on pouvait tirer d’un autre homme des réactions humaines en lui parlant le langage de l’humanité.
Nous avons vu mentir, avilir, tuer, déporter, torturer, et à chaque fois il n’était pas possible de persuader ceux qui le faisaient de ne pas le faire, parce qu’ils étaient sûrs d’eux et parce qu’on ne persuade pas une abstraction, c’est-à-dire le représentant d’une idéologie.
Le long dialogue des hommes vient de s’arrêter. Et, bien entendu, un homme qu’on ne peut pas persuader est un homme qui fait peur. Entre la peur très générale d’une guerre que tout le monde prépare et la peur toute particulière des idéologies meurtrières, il est donc bien vrai que nous vivons dans la terreur.
Nous vivons dans la terreur parce que la persuasion n’est plus possible (…) Nous étouffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison, que ce soit dans leurs machines ou dans leurs idées.
Et pour tous ceux qui ne peuvent vivre que dans le dialogue et dans l’amitié des hommes, ce silence est la fin du monde. Pour sortir de cette terreur, il faudrait pouvoir réfléchir et agir suivant sa réflexion. Mais la terreur, justement, n’est pas un climat favorable à la réflexion.
Je suis d’avis, cependant, au lieu de blâmer cette peur, de la considérer comme un des premiers éléments de la situation et d’essayer d’y remédier. (…) Pour se mettre en règle avec [la peur], il faut voir ce qu’elle signifie et ce qu’elle refuse. Elle signifie et elle refuse le même fait : un monde où le meurtre est légitimé et où la vie humaine est considérée comme futile. » Albert Camus, « Ni victimes ni bourreaux » Combat 1946